BIENVEILLANCE,  RESPECT

Si vulnérable… et pourtant si forte !

Chère Harmonie,

Le temps s’écoule différemment depuis mardi soir. Même l’espace n’a pas la même forme. Il y a comme une attente dans l’air. Les couleurs ne m’apparaissent pas comme d’habitude, et les contours des choses me semblent comme étrangers. Comment un seul événement peut à ce point perturber le cours de notre existence ? 

Je me sens comme pris dans un voile cotonneux. Il n’est pour autant pas doux, il a quelque chose de dérangeant et les larmes me montent aux yeux plus facilement que de coutume et c’est peu dire. Tout ce que je pourrais faire, dire ou lire, voir, écouter me paraît comme déplacé. Je me sens comme devant une tombe. Pas à ma place et pourtant si proche de ce lieu entre les mondes.   

Un brouillard épais m’accompagne et ne veut pas se dissiper. Je pourrais pourtant décider de passer outre. J’aurais pu publier l’article sur l’épilation prévu pour ce dimanche, mais cela me semblait incongru, pas à sa place presque blasphématoire. Les préoccupations terrestres me semblent venir d’un autre espace-temps. Même les considérations environnementales me paraissent inopportunes dans l’état dans lequel je me trouve. Impossible pour moi de ne pas essayer de traduire cet état de latence, cet état de choc dans lequel je me trouve avec toute la ville de Strasbourg.

Je ne sais pourtant pas quoi dire pour ramener l’harmonie dans ce monde à cet instant. Des gens sont morts cette semaine dans les rues de notre si belle ville. Et c’est comme si on était entré chez moi de force et qu’on avait tout fouillé, retourné, souillé sans le moins égard pour mon intégrité. Oui, je me sens comme cambriolée. Comme violée dans mon intimité. Alors, oui, ce n’est rien comparé à la souffrance de ceux qui luttent pour leur vie en ce moment et ceux qui ont perdu un être cher à leur cœur. Je pense tellement à eux. Eux qui se baladaient simplement dans les rues illuminées de notre cité aux allures encore médiévales. Eux qui étaient simplement au mauvais endroit au mauvais moment. Un coup du sort. Une injustice. 

Il aura fallu l’acte d’un seul individu pour nous plonger dans cette frayeur. Un acte terroriste dans son sens le plus simple, un acte qui entraîne la terreur, mais surtout le chagrin. Et même si cela ne nous empêchera pas de reprendre le dessus, cela nous a affecté et nous affectera encore. Nous continuerons néanmoins d’aller à des marchés de Noël, de célébrer et profiter de la vie. Ce tragique moment s’ajoute à la liste des événements terribles qui se sont produits dans notre pays. Il ressemble a bien des égards par son impact aux expériences difficiles que l’on vit tous dans nos vies, c’est un deuil, une incompréhension, un malheur qui nous frappe au cœur. La différence avec les chagrins personnels est justement qu’il ne l’est pas, c’est une peur collective, une atteinte à ce qui nous relie et qui nous relie.

Je me perds dans mes pensées, je ne sais plus vraiment ce que je cherchais à dire en écrivant sur tout cela. Je crois que je voulais seulement mettre des mots sur ce sentiment d’étrangeté que me procurent le monde et l’agitation en ces instants. Comme si seule l’immobilité et le recueillement pouvaient être une forme de réponse à une situation pareille. J’ai envie de serrer dans les bras les gens que j’aime. Toutes les petites querelles de la vie quotidienne me paraissent vaines maintenant. Il me semble que le monde a remis les choses à sa place. Une claque monumentale pour remettre dans le chemin de l’amour. On m’a soufflé de ne me préoccuper que de l’essentiel et de laisser le reste de côté. 

Je me sens si vulnérable aujourd’hui. Et c’est dans ce contexte que j’ai l’impression qu’on n’est jamais en sécurité et que le désir de protéger ce qu’on aime est bien illusoire. Pourtant, cela ne me donne envie que d’aimer plus et de chérir encore plus chaque instant. Alors, non, cet événement ne nous enlèvera pas la joie de célébrer ces fêtes de fin d’année en famille, bien au contraire. Nous serons ensemble et cette union nous donnera l’illusion bienheureuse que rien ne peut nous arriver. Car ensemble, nous sommes si forts. 

Strasbourg, je t’aime ! Je ne voulais pas faire comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé. Je trouve que l’on fait cela trop souvent pour trop de choses. On préfère cacher la tristesse sous une colère qui parait alors ironiquement si justifiée, si normale. Non, j’ai envie que l’on ne réponde à cette tristesse et cette peur que par de l’amour et la force de cet amour. Je ne veux pas laisser le voile du tabou se déposer sur le chagrin et la peur qu’on a ressenti et qui nous accompagnera encore un moment. 

J’ai simplement envie de vous dire que je vous aime, tous autant que vous êtes, même si souvent ma pudeur m’empêche de le dire ! On ne devrait pas avoir peur d’aimer… 

Ellega

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